Petit Jean
Petit jean était mon copain. C’était un enfant du coin, d’un an mon ainé. Je jouais avec lui au grand dam de mes grands parents. Sa grand mère, ou je ne sais plus
quel autre membre de sa famille avait eu une histoire de brouille avec mes grands parents.
Leur sanction était tombé arbitraire pour les générations à venir : il ne fallait pas à voir à faire avec ces gens là.
Peu importe mon esprit, déjà rebelle à l’époque, n’avait que faire de ce dogme. Une fois partie pour vadrouiller dans la nature qui pouvait bien savoir avec qui je jouais.
Petit Jean, m’a initié à toutes sortes de pêches : Pêche à la ligne, au filet, à la ligne de fond, braconnage de la truite. Les quelques jours de vacance n’y suffisaient pas, mais heureusement
je revenais chaque été passer plusieurs semaines.
C’est surtout à la truite dans la petite rivière que j’ai les souvenirs les plus précis. Je récupérais la veille des lombrics dans le champ de mon grand père pour la pêche aux aiguilles. Nous
partions avec petit Jean dans la vallée, en suivant le chemin caillouteux qui partait du lavoir et longeait la rivière. Après la dernière maison, on obliquait à travers champs. C’était l’occasion de
saisir des criquets, qui nous servaient aussi d’appâts. Ils déployaient leurs ailes rouges, lorsque nos pas faisaient bouger les herbes. Débusqués ainsi, nous les capturions aisément là où ils
avaient atterri. A l’approche de l’eau, il nous arrivait de déranger une vipère, qui se dorait au soleil, au pied d’une roche. Chaussé de nos bottes, nous de ne craignions pas de la chasser
avec la baguette de noisetier qui nous servait à faucher les orties. La rivière s’écoulait sous les arbres. Elle n’était ni très large ni trop profonde. Il fallait s’approcher très lentement quand on
percevait le bruit tranquille et régulier de l’eau qui coulait. Pas à pas, nous cherchions à percevoir entre deux eaux, une truite qui nageait sur place à contre courant. Nous connaissions les bons
emplacements. Une zone de calme, après un petit passage rapide. La truite, était là, se maintenant avec des mouvements amples de la queue dans l’eau claire. Dés que nous poursuivions notre approche,
qu’elle percevait le moindre bruit, ou voyait notre ombre projetée par le soleil entre les feuilles des arbres, elle disparaissait brusquement avec un ou deux coups de queue sous un
caillou. C’était la phase la plus importante, bien repérer là où elle s’était enfuit. La pêche pouvait alors commencer. Nous descendions dans la rivière. Il fallait s’approcher du rocher repéré, en
marchant lentement dans l’eau. Remontant haut les manches de notre pull, nous plongions les mains dans l’eau fraiche de chaque coté du caillou. Lentement les doigts écartés nous cherchions le poisson
du bout des doigts. Là, je sentais la queue, j’imaginais de l’autre coté la où était la tête. La truite se sentant coincé par ces deux mains, ne cherchait que rarement à s’échapper. Tout doucement,
le cœur battant la chamade, les doigts progressaient, chatouillant son ventre et le dessous de sa tête. Quand la position était jugée satisfaisante, on plaquait le poisson sur le toit de ses abris
rocheux qui devenait un piège. Il suffisait alors de bien glisser les doigts dans les ouïes, le poisson ainsi saisi était sorti victorieusement de l’eau. S’il donnait trop de coups de queue, pour ne
pas risquer de la perdre, nous le jetions sur la rive, dans l’herbe.
Nous lui brisions la nuque, d’un coup sec en retournant sa tête pour abréger ses souffrances. La prise était ensuite glissée dans une de nos bottes, ni vu ni connu. Ce braconnage était
formellement interdit.
Tout n’était pas toujours aussi simple. De temps en temps le poisson allait dans un trou, sous une roche dont l’accès était trop profond. Même en plongeant le bras, en s’y mettant à deux, il était
impossible de coincer le poisson.
Après la visite d’une zone de pêche, nous laissions souvent une ligne en attente. S’était un hameçon avec un court fil de nylon fixé au milieu d’une baguette de noisetier. Celui ci était coincé entre
deux roches. L’appât fixé, filait dans le courant et devait flotter sur l’eau.
Lorsque nous revenions le lendemain, nous trouvions souvent une belle anguille qui s’était ferrée seule sur l’hameçon et s’entortillais autour du fil.
Nous remontions ainsi la rivière de coins en coins, avec plus où moins de chance.
Au plus loin que je suis ainsi allé, après un petit moulin en ruine. Il y avait un champ que traversait le cours d’eau. Là plus de roche, pour abriter le poisson, mais seulement des trous dans la
berge de terre, où s’enchevêtrai des racines.
C’est dans un de ceux ci que j’ai eu une surprise désagréable. J’avais aperçu depuis la rive, une belle truite. Elle faisait au moins trente centimètre de long. Son dos sombre, et ses flancs
mouchetés de points rouges se détachaient bien du fond sableux. D’un coup je l’avais vu filer vers la rive, elle entrait dans un trou, en laissant derrière elle un petit nuage de vase.
Je descendais dans l’eau à sa poursuite, voyant déjà cette belle prise acquise. Je glissais ma main lentement à travers les racines du bord, cherchant à tâtons le trou dans lequel elle avait pu se
blottir. J’en sentais un du bout des doigts et m’y aventurait lentement. D’un seul coup, je senti, escaladant mon bras, quelque chose qui venait vers moi. Un rat sortit comme une furie, tout aussi
apeuré que moi. Il s’enfuit derrière moi. La truite fût vite oubliée. Je sortais mon bras du trou précipitamment, en reculant d’effroi en manquant tombant à la renverse, les fesses dans l’eau.
A postériori je fus secoué d’un grand frisson. L’animal aurait pu me mordre et je m’en sortais bien. Désormais, je ne pêcherai plus dans de telles conditions.
Lors de nos expéditions dans la vallée, nous nous imaginions aussi chasseurs. Un canif souvent une vieille « opinel », faisait parti des outils indispensables. Les longues tiges droites des
noisetiers, étaient parfaites pour réaliser nos armes de chasse. Nous fabriquions arcs et longues flèches fines. Leurs extrémités étaient pointues et nous les solidifions en les brulants légèrement
sous la flamme d’un briquet. Nous nous entrainions au tir, dans le grand champs, sur des cibles improvisées. Une fois l’arc bien en en main, la tension du nylon bien réglée, nous partions à la
chasse… à la truite. Petit Jean en harponna une ainsi. Moi jamais. La flèche en bois entrant dans l’eau, n’avait pas assez de force déviait et ne touchait pas le poisson.
Lors d’un de nos virées, c’est ainsi équipé, avec déjà une ou deux truites glissées dans nos bottes que nous avions un jour croisé un pêcheur. Un vrai celui là, équipé d’une canne, et de tout
l’attirail règlementaire. Manifestement il avait déjà dû trouver une ou deux de nos lignes de fond, et très rapidement joua devant nous le rôle de garde pêche. Nous qui ne rencontrions jamais
personne sur notre domaine de jeu étions déjà un peu sur nos gardes. Il nous demanda de vider nos poches, en seule réponse, sans avoir besoin de se concerter, moi et petit Jean, prîmes nos jambes à
nos cous. A travers les arbres, dans un coin que nous connaissions parfaitement, il ne lui fût pas possible de nous rattraper. Nous avions mis du temps à nous arrêter, tout essoufflés. Les pauvres
truites que nous avions dans nos bottes, avaient été chahutées dans cette course, mais nous n’avions rien perdu. Cet épisode ne mis un coup d’arrêt à nos parties de pêche que durant quelques
jours.
C’est l’été 76, lors de la sècheresse, que je fis mes plus belles pêches. Il faut dire que ce n’était pas tellement glorieux. Le niveau d’eau de la rivière ayant baissé, les poissons avaient moins
d’opportunité pour se cacher. Je pris cette année là trente quatre poissons en un mois.
Ma grand-mère cuisinait les truites, à la poêle, avec comme toujours un gros morceau de beurre et y ajoutais quelques amandes effilées. C’était un vrai régal.
Depuis ce temps là, quand je retourne au Yaudet, et me gare sur le parking du pont roux, je ne peux pas m’empêcher d’avancer avec précaution vers le petit pont au dessus du ruisseau. Je guette et
retrouve souvent une truite juste, près du petit pont en bois, elle nage comme celle que j’avais attrapée il y a trente ans, et me tente comme au bon vieux temps.
La pêche en mer était aussi une occupation importante. Elle était rythmée par les marées. Quand elle était basse je ramassais les vers blanc et rouges pour appâter mes lignes, ou bien j’allais
aux palourdes. Celles ci étaient assez nombreuses après la bande des rochers. Par jour de grande marée, des grappes entières de pêcheurs à pied, se déversaient sur la grève. Tout le monde grattait la
vase et le sable pour pêcher les coquillages. A la maison mon grand père ne voulait pas les cuisiner. Il avait été victime d’une hépatite quelques années plus tôt, mise sur le compte de l’absorption
d’une palourde. Qu’importe, j’allais gratter comme les autres. J’utilisais pour cela, la méthode que m’avait montrée ma grand mère. Une simple grosse cuillère, dont le manche était entouré d’un
morceau de drap pour éviter les ampoules dans le creux de la main, ne servait d’outil. Si le vent n’avait pas été trop fort, il suffisait de repérer sur le sol, les deux petits trous laissés par le
coquillage sur la vase. En grattant alors peu profond, je trouvais la palourde enfoncée sur la tranche. J’arrivais à pêcher ainsi un ou deux kilogrammes. Muni de se trésor, je grimpais tout en haut
de la côte. Un mareyeur, y habitait. Son épouse nous achetait notre kilogramme de coquillages, un franc. Ce n’était pas grand-chose, mais avec ces petits sous, je pouvais ensuite accompagner mon
grand père à Lannion, chez « Daniel », le magasin de pêche, pour acheter des hameçons et rêver devant les belles cannes.
C’est mon oncle Patrick, le plus jeunes des frères de mon père qui m’a acheté ma première canne à pêche. Jusque là je m’étais contenté des quelques hameçons, plombs moulés maison, et fil de nylon
trouvés dans la veille boite à pêche en bois qui était dans le cabanon du grand père.
Comble du bonheur, cette belle canne était également équipée d’un beau moulinet bleu. Elle a été mon compagnon durant toute mon enfance. Le moulinet a rendu l’âme il n’y a quelques années,
faute de m’en servir.
Avec ce nouvel attirail je pouvais pêcher loin du bord. Lestée d’un plomb, ou d’un cuillère plombée je taquinais le bar, et le carrelet essentiellement depuis le bord. De façon exceptionnelle, je
pêchais aussi quelques maquereaux. L’été par temps calme lors des grands coefficients de marée, l’eau montait jusque sous le jardin de la maison. Depuis les fenêtres du salon, on apercevait les bancs
de maquereaux dans l’eau transparente, qui faisaient des va et vient dans la baie dans la lumière du soleil couchant. Je descendais rapidement l’escalier de bois jusqu’à la porte bleue menant à la
grève et je péchais directement de là.
La pêche à la ligne me valut un jour la première et seule rouste de la part de mon grand père. Je posais souvent avec petit Jean, une ligne de fond à marée basse. Le principe en était assez
simple. C’était un long fil de corde tressée, sur lequel était fixé une «trentaine d’hameçons avec un court fil de nylon. A marée basse, nous déroulions la ligne sur le sol. Entre chaque hameçon une
pierre était posée sur le fil. Pour éviter que les crabes verts ne dévorent d’emblée les appas, nous les recouvrions d’un petit tas de vase. A l’extrémité de la ligne, quelque brasse de bout,
allaient jusqu’à une petite bouée ronde. Il fallait surveiller les mouettes et goélands pour qu’ils ne viennent pas manger ces vers trop faciles à gober. Une fois que la marée arrivait, avec ces
bulles d’écumes et de mousse récupérées sur la grève plane, nous pouvions regagner la plage, et nous armer de patience.
Ce n’était pas trop dur, car une fois l’eau ayant dépassée la bande des rochers, nous pouvions nous adonner à la baignade. Mes grands parents avaient acheté une pirogue gonflable d’un orange vif que
mes plus jeunes cousins où mon frère se disputaient et que je prenait un malin plaisir à renverser, plongeant ainsi tout le monde dans l’eau fraiche dans un concert de cris.
L’après midi passait bien vite, et alors que l’eau venait à lécher le pied des rochers en bas du petit escalier, je repensait vite à ma ligne de fond.
Nous avions prévu avec Petit Jean et Frédéric, même si le soleil déclinait déjà un peu, d’aller remonter notre ligne. La petite prame en bois vernis de Fred suffirait à nous mener jusqu’à la baie de
la vierge. C’est Petit Jean qui se mettait à la godille.
Je savais bien que cette expédition n’aurait pas obtenue le feu vert de mon grand père, alors je m’étais passé de son avis. Si je me débrouillais il n’en saurait rien.
Nous étions heureux sur les flots calmes, bercé par le roulis régulier et le clapotis de la godille. Enfin la bouée rouge de la ligne apparue. S’est avec empressement et le cœur noué d’espoir que
nous remontions le fil tendu par les pierres qui servaient de lest. L’eau était bien transparente. Nous pouvions tous les trois attentifs penchés par dessus le bord de la barque voir les algues qui
s’étaient accumulées sur la ligne. Nous calculions mentalement le moment où devait apparaître le prochain hameçon. Rien sur le premier.
Deux brasses de fils, et rien sur le deuxième non plus. Pas la moindre trace de vers ne subsistait néanmoins sur les hameçons. Enfin, une ombre apparue longue et bougeant. Une magnifique plie, qui me
paraissait énorme fut embarquée. La joie se lisait sur nos visages. Les trois hameçons suivant avaient piégé trois jolis rougets. La fête fut à son comble quand nous eûmes complété notre tableau par
un bar d’au moins huit cent gramme. La ligne fut, ramassée dans un coin, et nous repartîmes vers la plage. La luminosité avait nettement baissé. Ce n’était pas bien grave, en quinze minutes
nous serions rentrés. Je fut néanmoins un peu inquiet quand je vis la fenêtre du salon de la maison des grands parents s’ouvrir. Je pouvais nettement deviner la silhouette qui semblait nous scruter
de loin sans doute avec des jumelles. Peu importe la pêche avait été bonne et cela valait toute les excuses du monde. Frédéric sauta à terre dés que la prame frotta contre le sable. A trois nous ne
mire pas longtemps à remonter la barque contre le mur de la maison des « Favre ». La pêche fut vite partagée, car avec la nuit tombante, chacun commençait à craindre pour son retour à domicile.
J’avais hérité d’un rouget et d’une plie. Je remontais doucement sans bruit le petit escalier de bois goudronné, après avoir refermé la barrière bleue. Arrivé en haut je fus surpris de voir mon grand
père là. Il m’attendait. Je lui montrai mes poissons fièrement en essayant d’arborer un sourire qui fut vite estompé par un beau claque sonore. Les poissons finirent à la poubelle je crois et moi au
lit avec une belle engueulade. Mes grands parents m’avaient cherche partout. Je pensais n’être parti que une heure, captivé par notre mission. En fait nous avions disparut plus de trois heures.
Maintenant père de famille, je comprends mieux les angoisses qui provoquèrent la seule correction que m’infligeât mon grand père. Mais n’empêche que je regrette encore un peu ne pas avoir
goutté.